A propos du mouvement régénérateur
Extraits d’un échange de courrier
Yvette B – mai 2013
La première fois que Giovanni nous a fait nous lever au milieu de la séance de mouvement, j’ai été indignée. Je me souviens m’être dit : « Il est malade ! Moi, je reste assise ». J’étais installée dans une bonne concentration, mon mouvement bien déclenché, l’esprit au repos, bref, toute offerte au plaisir de la pratique.Puis en fait, j’ai joué le jeu et me suis levée. Au début, je me suis sentie comme quelqu’un qu’on sort du lit en plein sommeil, mais ça n’a pas duré. J’étais là, dans ce dojo. Autour de moi les autres pratiquants probablement dans le même genre d’état d’esprit que moi. J’ai gardé les yeux fermés et cette bonne concentration m’est retombée dessus instantanément. Quelle ne fut pas ma surprise alors de sentir mon corps bouger et repartir dans son mouvement ! Et quel mouvement ! Un plaisir décuplé. C’était un peu comme une porte qu’on a gardé longtemps fermée sans y prendre garde et qu’on ouvre d’un coup, laissant entrer un air vif et frais.Je ne fus pas la seule à vivre cette expérience avec autant de plaisir. Je me souviens encore de nos mines réjouies au sortir de la séance, et Xavier J. chantonnant :
« Il faisait le mouvement debout
C’est peut-être un détail pour vous
Mais pour moi, ça veut dire beaucoup… »
Bon, j’ai compris que ta critique ne porte pas sur le mouvement debout, mais sur la manière dont il est introduit dans la séance, lui ou tout autre changement de forme. Je ne peux témoigner que de mon expérience et de mon ressenti. J’ai découvert qu’au coeur d’une séance, lorsqu’une concentration est bien installée, l’officiant peut intervenir en suggérant des formes, des positions qui loin d’entraver le travail de l’extrapyramidal, l’activent plutôt. Dans une séance collective, la condition nécessaire appartient au savoir-faire de l’officiant : intervenir avec sensibilité, maintenir une vigilance discrète, en respectant le rythme de la séance et en favorisant la fusion et la concentration… Le sens d’une séance collective, c’est aller vers l’activation du mouvement. Plus on est nombreux, plus dense est la concentration, plus intense devient le mouvement. C’est l’intérêt essentiel de pratiquer en groupe. Une bonne fusion du groupe et une souplesse suffisante des participants peut aller jusqu’au changement de partenaire.
En fait, du vivant de Monsieur TSUDA, j’avais déjà vécu des petites révolutions de ce genre. Je crois te l’avoir déjà raconté. Les toutes premières années nous ne pratiquions que le mouvement mutuel. Voilà, l’un derrière l’autre, assis, une main sur le dos, l’autre sur le côté, il n’existait pas d’autre alternative. Et tout le monde était content, franchement. Or un jour, à son retour d’un voyage au Japon, il nous montre le déclenchement individuel. Quand je me suis retrouvée « toute seule » sur mon tatami, les yeux fermés, les paumes tournées vers le ciel, crois-moi, j’ai été déconcertée. Puis le mouvement s’est déclenché… A une autre époque, je me souviens que Monsieur et Madame TSUDA intervenaient au milieu de la séance, en mouvement individuel, et sans rien dire, mettaient en contact certaines personnes en les installant dos à dos. Ça, il ne l’a pas conservé par la suite, à ma connaissance.
Quand j’ai parlé d’une pratique routinière et même sclérosée, j’ai commis un excès de langage. Il serait beaucoup plus juste de parler d’une pratique en voie d’endormissement. Attention, je ne parle que de moi, de mon ressenti. Depuis des années, une vingtaine environ, je me rends 2 fois par semaine au dojo et j’y pratique le mouvement. Cette belle continuité est motivée par le souci de maintenir en vie ce dojo en gardant l’espoir d’y partager cette merveilleuse pratique. Ma propre pratique, elle est en moi. Elle fait partie des fondements de ma vie. Mon mouvement se déclenche de temps en temps spontanément à la maison. Je ne suis pas sûre que ’aurais eu si souvent le courage de sortir de chez moi pour aller au dojo si je ne m’étais pas senti une part de responsabilité à la vie de ce dojo. Or fréquenter un dojo pour pratiquer en groupe et s’y retrouver systématiquement à une, deux parfois trois personnes, toujours les mêmes, des habitudes s’installent insidieusement, une sorte de routine s’installe. En fait, je l’ai simplement constaté. Entrevois-tu ce que je veux exprimer avec ma notion de rester figé dans une routine ? J’ai souvent exprimé mon désir d’ouverture de ce dojo, Xavier peut en témoigner. Mais lui n’en a jamais éprouvé le besoin.
Comme par hasard, depuis que notre pratique a évolué, un tas de nouvelles personnes fréquentent notre dojo. Beaucoup ne font que passer, c’est indéniable. Mais notre groupe s’est étoffé et notre dojo a repris vie. Diviser une séance en plusieurs séquences, on pourrait dire que c’est dans l’air du temps. On pourrait faire un parallèle avec la génération zapping… Mais ce serait une vue un peu courte. Loin de sauter d’un intérêt à l’autre, d’une curiosité à l’autre, à la recherche d’une satisfaction inatteignable, nous passons d’une forme à l’autre, d’une position à l’autre, concentrés dans une même énergie fusionnelle.
Pour moi l’esprit du mouvement est d’abord et avant tout ancré dans le dépouillement. Lâcher le mental et autoriser la partie de son être habituellement en sommeil à s’exprimer, sans à priori, sans but à atteindre, sans modèle. Tout le reste n’est qu’agitations superflues.
Tu trouves que je stigmatise le dojo de Paris qui aurait le tort d’être resté dans cette « pratique routinière ». J’en suis sincèrement navrée. Le fond de ma pensée et bien différent. Le dojo de Paris est historiquement de dojo de Tsuda. A ce titre, il porte une responsabilité plus contraignante quant au maintien de l’enseignement de Tsuda. Ce passé a une valeur très porteuse mais constitue également un poids qui peut justement figer les choses.
Du vivant de Tsuda, la pratique n’était pas figée. Elle a beaucoup évolué au fil des 9 années pendant lesquelles j’ai suivi son enseignement. Comment rester fidèle à Tsuda sans Tsuda ? Nous aussi à Toulouse, nous avons évité pendant plus de 20 ans de prendre un quelconque risque en maintenant la forme qu’il nous a laissée à son décès. Cet état de chose a sa limite.Tu vois, au dojo de Paris, ils ont beaucoup subi l’influence de madame Tsuda à partir de 1984. Cela m’a frappé à chaque fois que j’ai eu l’occasion d’y pratiquer (que ce soit à Paris ou à Coulonges) alors que j’ai quitté Paris l’année du décès de monsieur Tsuda. Cela n’a rien de dramatique. Pourtant, pour moi ça représente déjà des nuances d’importance.Si on veut maintenir le côté vivant de cette pratique, on se trouve confronté à ce type de problématique. Sinon on conserve, ou plutôt on tente de conserver la forme sans rien changer, et on se transforme petit à petit en « musée témoignage ».